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A COMME AFRIQUE. A COMME AILLEURS.

C'est un fait sur lequel des voix de plus en plus nombreuses s'accordent : l’Afrique s’éveille, émerge, avance... et façonnera, elle aussi, le monde de demain. Quoi de plus normal, alors, que de s’y intéresser. Doit-on, pour autant, occulter ce qui se passe en dehors du berceau de l’humanité ? Que nenni ! Vous déambulerez ici entre un « A comme Afrique » et un « A comme ailleurs ». Vous découvrirez des instants « T » qui, semblables à une photographie, vous apporteront des éléments sur une situation donnée. Entre articles, interviews et contributions, vous aurez accès à des points de vue. Que ces regards portés ici et là vous éclairent. Bonne lecture !

TERRORISME : INTERVIEW DE ROLAND MARCHAL, CHARGÉ DE RECHERCHE AU CNRS (CERI-SCIENCES PO) ET SPÉCIALISTE DE L’AFRIQUE

Publié le 15 Avril 2016 par Sandra Wolmer in AFRIQUE, (GEO)POLITIQUE, TERRORISME, ENTRETIEN

TERRORISME :  INTERVIEW DE ROLAND MARCHAL, CHARGÉ DE RECHERCHE AU CNRS (CERI-SCIENCES PO) ET SPÉCIALISTE DE L’AFRIQUE

L’Afrique les subit. Ajoutez à cela le triptyque « dynamique mondiale, dynamique régionale, dynamique locale », au sein desquelles elles évoluent. Ajoutez-y encore le territoire sur lequel elles agissent qui, somme toute, englobe plusieurs « Afriques » et vous obtenez l’un des nœuds gordiens qu’entend dénouer le continent africain : les mouvances djihadistes. Zoom avec Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS (Ceri-Sciences Po) et spécialiste de l’Afrique.

Sandra Wolmer (S. W.) : L’Afrique est confrontée depuis des années à la violence du radicalisme djihadiste. Que se cache-t-il derrière ce terrorisme aveugle ?

Roland Marchal (R. M.) : Premièrement, il n’existe pas une définition universellement acceptée du terrorisme. Deuxièmement, les mouvements dits « terroristes » sont labellisés de cette façon afin de leur dénier tout type de projet politique. Le terrorisme ne demeure qu’une façon de mener la guerre. On doit donc se demander : est-ce que Boko Haram a un véritable projet politique ? Je n’en suis pas convaincu. Est-ce que les shebabs en ont un ? Je peux le penser. Certains groupes dans le Sahel également. Au-delà de la rhétorique du djihadisme global, il demeure compliqué de clairement pointer leurs revendications. Qu’entendent-ils par la lutte contre la corruption, la domination de l’Occident ? Que veulent-ils faire à la place ? Instauration d’un État islamique ou de la charia ?
 

S. W. : Parleriez-vous d’un terrorisme afro-africain ?
R. M. :
Il y a une histoire de la violence sur le continent africain, qui n’est d’ailleurs pas une histoire spécialement musulmane. On est dans un moment de globalisation. Ce que je vois depuis 25 ans en Afrique, je le trouve ailleurs, dans certains conflits en Asie, en Amérique Latine ou au Moyen-Orient. Donc, je ne crois pas qu’il faille singulariser la situation sur le continent africain. Est-ce que ce sont des pratiques africaines ? Je ne le crois pas. Ce sont des pratiques globalisées. Hélas !

Nigeria. Attentat à la voiture piégée attribué à Boko Haram. ©theglobalpanorama.

Nigeria. Attentat à la voiture piégée attribué à Boko Haram. ©theglobalpanorama.

S. W. : Derrière l’idéologie, il n’y aurait rien de « naturel » à ce que ces groupes unissent leurs efforts ?
R. M. :
De mon point de vue, partagé par la plupart des universitaires, mettre sur le même plan et penser que le contact entre ces groupes implique d’emblée une coopération structurelle, organique, est une erreur majeure. Elle prouve que nous sommes dans un délire idéologique qui conduit à des politiques de lutte complètement aberrantes. Nos hommes politiques et leurs experts militaires ou sécuritaires veulent construire une menace. Ils constituent un système – en parlant d’arc du terrorisme, par exemple – plutôt que de décrire la réalité de révoltes locales.


S. W. : Comment expliquer la capacité d’attraction toujours réelle d’Al-Qaïda ou celle grandissante de Daech en Afrique ?
R. M. :
En Occident, il y a quelques années, Nicolas Sarkozy déclarait la guerre à AQMI. Si vous avez beaucoup d’amertume envers la politique française, vous vous dites qu’AQMI, finalement, c’est le « bon cheval » pour porter votre révolte. De la même manière, Daech est perçu comme une espèce d’organisation globale extrêmement forte et riche. Ce qui me frappe, c’est qu’en Occident on a une vision très idéologique de ces groupes. En les traitant ainsi, ils deviennent une véritable alternative crédible et un moyen de révolte particulièrement puissant par rapport à ce que beaucoup de gens estiment être une domination indue des valeurs occidentales. Il faut être plus concret et expliquer que Daech n’est pas une réponse à la volonté de changer le système.


 

Reddition de combattants shebabs. ©AMISOM Public Information.

Reddition de combattants shebabs. ©AMISOM Public Information.

S. W. : Pour Daech, le continent africain est-il désormais

une cible prioritaire ?
R. M. :
L’État islamique sait que pour apparaître comme un ennemi global, il a besoin de créer des franchises locales, comme Al-Qaïda l’a fait. Il y a donc une politique pour essayer de recruter les groupes armés qui existent déjà en Afrique et qui se revendiquent du djihadisme. L’EI arrive avec un peu d’argent et toute la publicité que l’Occident lui fait et espère conquérir ces groupes. Le tout en essayant de prouver qu’Al-Qaïda n’a plus grande valeur marchande, ni publicitaire, ni effective en termes de combat. Il faut pourtant bien se rendre compte que c’est un peu plus compliqué. Les alliances qui ont été tissées avec Al-Qaïda sont des liens organiques de soutien, de logistique, qui fonctionnent bien. Pourquoi ces gens-là rompraient ces alliances ? Pour rejoindre ce Daech porté par un effet publicitaire ? Ces groupes ne sont pas dupes.


S. W. : Nous avons pourtant bien l’impression que Daech supplante désormais tous les autres ?
R. M. :
Boko Haram a été le premier à faire allégeance à l’EI. Mais Boko Haram, c’est quatre ou cinq factions différentes. Le département des médias de Boko Haram est aujourd’hui sur la même ligne que Daech. Pour le reste, tout n’est pas si clair. En Somalie, Daech a essayé de créer une scission. Les shebabs ont « réduit » ça en éliminant sans doute plus d’une centaine de combattants et quelques chefs militaires, pas les plus impressionnants. L’offensive de Daech va reprendre avec la volonté d’obtenir des allégeances mais il ne faut pas survaloriser ces dernières. L’essentiel n’est pas de se demander « Daech ou Al-Qaïda » car ce sont pratiquement les mêmes.

« LA COMPOSANTE MILITAIRE,

LA PLUS SOUVENT ÉVOQUÉE,

NE DOIT PAS CONSTITUER L’UNIQUE RÉPONSE  »

 

S. W. : Quelle serait selon vous l’approche la plus pertinente à adopter ou, au contraire, l’écueil à absolument éviter pour lutter efficacement contre le terrorisme ?
R. M. :
La composante militaire, la plus souvent évoquée, ne doit pas constituer l’unique réponse. Les populations à protéger imposent bien sûr à l’État un devoir d’intervention mais il faut aussi qu’il y ait une démarche proprement politique. Ce qui ne se résume pas à de grands discours sur la réconciliation nationale mais nécessite la mise en place d’une politique économique qui tienne compte des couches sociales particulièrement défavorisées. Faute de quoi, ces groupes auront encore un bel avenir devant eux. Boko Haram, pour le citer, est né d’une répression ultra-violente contre ses membres et l’assassinat en public de son chef. Après, il s’agit d’un phénomène classique d’escalade et il convient d’avoir une analyse beaucoup plus historique et sociologique pour essayer de le défaire. Il faut rappeler que les jeunes adolescentes qui se font sauter devant des commissariats, ce sont souvent des enfants dont les parents ont été tués par la police de façon inique.

Troupes issues du contingent kényan de la mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM). ©AMISOM Public Information.

Troupes issues du contingent kényan de la mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM). ©AMISOM Public Information.

S. W. : Parmi les divers éléments qui expliquent l’actuelle non-éradication de ces mouvances, lequel attire tout particulièrement votre attention ?
R. M. :
Leur force de frappe réside dans leur popularité. Si de larges factions de la population haïssent ces groupes, d’autres segments voient en eux une manière de regagner un rapport de force avec le gouvernement. Il faut donc se donner le temps et les moyens de comprendre pour quelles raisons certaines couches de la population se retrouvent en convergence avec ces mouvements. Je pense notamment au MUJAO, le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, né d’une scission d’une katiba d’AQMI, qui va chasser les Touaregs (non appréciés dans le Nord du Mali), nouer des alliances avec des groupes locaux et finalement gouverner une ville. Alors évidemment, les violences et exactions commises par ce groupe ont été dénoncées, ce qui est légitime.

 

« LEUR FORCE DE FRAPPE RÉSIDE

DANS LEUR POPULARITÉ »

Tristesse et désarroi après l'enlèvement revendiqué par Boko Haram de plus de 200 lycéennes nigérianes à Chibok (Nord-Est du Nigeria) . ©Pedro Fanega.

Tristesse et désarroi après l'enlèvement revendiqué par Boko Haram de plus de 200 lycéennes nigérianes à Chibok (Nord-Est du Nigeria) . ©Pedro Fanega.

Mais, en même temps il y a eu d’autres choses sur lesquelles personne n’a voulu s’arrêter car cela aurait obligé à aborder la question de la corruption d’un régime que nous avons soutenu à bout de bras pendant des années, à parler de l’armée malienne prétendument dépositaire de la souveraineté nationale qui rançonne la population au jour le jour. Ajoutez à cela toute une série de contextes et vous comprenez pourquoi un groupe qui aurait initialement dû se résumer, pour paraphraser une partie de nos militaires, à des « petits bandits de grands chemins », jouit soudainement d’une réelle popularité au point que, jusqu’à aujourd’hui, à Gao, vous avez des secteurs absolument minoritaires, c’est vrai, qui regrettent l’époque du MUJAO. Je ne suis évidemment pas d’accord avec cette appréciation mais je dis qu’il faut déconstruire cela. L’élimination du MUJAO passera par les véritables réponses qui seront apportées à ces critiques pour le bien-être des populations, c’est-à-dire veiller à ce que l’armée fasse son métier en témoignant du respect à la population, veiller à ce que les forces de l’ordre respectent les lois qu’elles sont censées mettre en application, etc.

Munitions abandonnées par les shebabs. ©AMISOM Public information.

Munitions abandonnées par les shebabs. ©AMISOM Public information.

S. W. :   Les pays  jusqu’ici épargnés par le terrorisme le resteront-ils   ?
R. M. :
Il n’est pas du tout sûr que ces mouvements réussissent parce que dans certains cas ils vont être confrontés à une réponse beaucoup plus ferme et systématique des services de sécurité. Mais je crois aussi parce que les réalités sociales vont être différentes. De ce point de vue, le Sénégal est un cas intéressant parce que de tous les États concernés, c’est l'un des plus démocratiques, où la violence politique est restée très mineure. Le salafisme n’est pas la compréhension unique de l’islam et ce n’est pas la plus sympathique. Néanmoins, le salafisme n’a pas de répercussion immédiate sur l’utilisation de la violence ou du terrorisme. Il faut là aussi que le débat suive son cours à l’intérieur de l’islam.

S. W. : Lutte contre le terrorisme : un mythe ou une réalité ?
R. M. :
Moi ce qui me frappe, c’est l’abandon des hommes et des femmes politiques qui s’en remettent au militaire en pensant que les bombes lâchées ici et là finiront par régler le problème. Rhétoriquement, ils reconnaissent que cela ne suffit pas mais pratiquement, ils ne recourent qu’au militaire. Je travaille sur la Somalie depuis des années, depuis 1991, j’ai vu toute cette montée en puissance du terrorisme et du contre-terrorisme et j’attends toujours... Quand vous interrogez par exemple des diplomates occidentaux sur les fameuses politiques de réconciliation, ils vous répondent que ce versant politique renvoie au soutien apporté au gouvernement somalien. Et en quoi consiste ce soutien ? Appuyer la mise en place d’une armée censée éradiquer les shebabs. On reste complètement dans le paradigme militaire d’éradication. Cela ne fonctionne pas, il faut le dire ! En Somalie, la MINUS, force des Nations unies, rencontre de réels problèmes parce qu’elle tue de plus en plus de civils. Mais ça peut évoluer, l’échec n’est pas une fatalité.

Mogadiscio, capitale de la Somalie. ©AMISOM Public information.

Mogadiscio, capitale de la Somalie. ©AMISOM Public information.

Nous sommes uniquement condamnés à essayer, encore et encore. Certes, nous avons des adversaires qui sont aussi des adversaires militaires. Même si nous les éradiquons, de véritables questions continuent à se poser. Certaines relèvent vraiment de l’islam et il incombe aux musulmans de s’en saisir puisque ces interrogations n’entrent pas dans le cadre d’un débat d’un État vis-à-vis d’une population. Mais il y a également beaucoup de questions qui relèvent des politiques, du fonctionnement routinier des États par rapport à des populations spécifiques et là, chacun dans sa société, doit pousser à des réformes pour que les choses se passent mieux. Encore faut-il accepter de poser le problème ! Quand vous avez un Premier ministre en France qui vous explique qu’il ne faut surtout pas chercher à comprendre parce que cela voudrait dire excuser, vous vous dites que le débat est mort-né. C’est quand même assez lamentable !

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Photographie principale : ©ssoosay